L’étude fait partie d’un corpus de connaissances grandissant sur les interactions gène-environnement.
Il est temps de mettre de côté le débat de l’inné contre l’acquis (Nature vs. Nurture) et d’accepter les preuves grandissantes que ce sont les interactions entre la biologie et l’environnement qui influent sur le développement humain en début de vie, selon une série d’études publiées récemment dans un numéro spécial de la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
«Les biologistes croyaient jadis que toutes nos différences étaient pré-programmées dans nos gènes, alors que les psychologues soutenaient que les bébés étaient des « pages blanches » et que leurs expériences remplissaient cette page et les modelait pour former les adultes qu’ils deviennent. La généticienne comportementale de l’université de Toronto Marla Sokolowski suggère que la question importante qu’il faut plutôt demander est : « Comment les expériences vécues dans la petite enfance sont-elles intégrées dans notre biologie? » Elle est co-éditrice du numéro spécial de PNAS intitulé “Biological Embedding of Early Social Adversity: From Fruit Flies to Kindergarteners” avec les professeurs Tom Boyce (Université de Colombie-Britannique) et Gene Robinson (University of Illinois).
Sokolowski, qui est professeur au département d’écologie et de biologie évolutionnaire, directrice académique du Fraser Mustard Institute for Human Development de l’université de Toronto et co-directrice du « Experience-based Brain and Biological Development Program» à l’Institut Canadien des Recherches Avancées (ICRA) dit que relativement peu de choses sont connues au sujet des interactions gène-environnement qui sous-tendent l’impact de l’adversité en début de vie sur la santé et les comportements à l’âge adulte.
Dans une de ses études, Sokolowski et ses collègues ont montré que la privation alimentaire chronique et les carences nutritionnelles en début de vie chez la mouche drosophile (Drosophila melanogaster) avaient un impact significatif sur le comportement adulte et la qualité de vie. Les drosophiles sont particulièrement utiles pour les études génétiques puisqu’elles partagent un nombre surprenant de caractéristiques avec les humains, sont peu coûteuses à entretenir et se reproduisent rapidement, permettant l’étude de plusieurs générations en quelques mois seulement.
Les chercheurs ont examiné deux types de drosophiles présentant des variations dans le gène foraging (for), nommés « rovers » et « sitters » à cause de leur comportement différent en présence de nourriture.
Lorsqu’elles sont bien nourries à l’état de larve, les adultes « rover » présentent un comportement d’exploration des zones ouvertes pour la recherche de nourriture, alors que les mouches « sitter » ne le font que rarement. Quand les mouches sont privées nutritionnellement à l’état de larve, les adultes des deux groupes, « rover » et « sitter », présentent un comportement exploratoire. De plus, les mouches « sitter » qui avaient vécu une adversité nutritionnelle à l’état de larve avaient des capacités reproductives réduites. Les mouches « rover », quant elle, n’étaient pas affectées dans leur capacité reproductive.
« Le gène foraging produit une enzyme nommée PKG, que l’on retrouve dans la mouche mais aussi dans presque tous les autres organismes, incluant les humains. Le niveau de cette enzyme diminue quand les conditions nutritionnelles auxquelles sont exposées les mouches sont adverses, dit Sokolowski. « Ceci nous indique que le gène foraging est à l’écoute de son environnement. » Des manipulation génétiques des niveaux de PKG ont influé sur le comportement exploratoire de mouches bien nourries, mais pas des mouches soumises à des privations nutritionnelles.
L’équipe de recherche incluait James Burns, un fellow junior ICRA dans le laboratoire de Sokolowski, le professeur de l’université de Toronto Locke Rowe et le stagiaire post-doctoral Nicolas Svetec, ainsi que des collègues de l’université de Colombie Britannique et de l’université de Paris-Sud. Ces découvertes sont décrites dans l’article “Chronic food deprivation in early life affects adult exploratory and fitness traits”, dans le numéro du 16 octobre de Proceedings of the National Academy of Science.
Plusieurs articles de ce numéro sont écrits par des chercheurs de l’ICRA, et sont une collection multidisciplinaire de recherche qui couvre les domaines de la génétique moléculaire, de la biologie et de la neuroscience évolutionnaires, des sciences sociales et comportementales, de l’épidémiologie et de la politique sociale – ainsi que du domaine émergent de l’épigénétique, qui étudie les variations dans la capacité d’un gène à générer son produit (ARN ou protéine) qui sont causés par des mécanismes autres que la modification de sa séquence d’ADN.
La collection d’articles dans ce numéro présente un nouveau domaine de science développementale émergente qui étudie les effets de l’adversité durant l’enfance, et change la compréhension traditionnelle des premières années de la vie humaine.
«Ce numéro spécial est la première collection d’articles de recherche qui dresse un portrait substantiel et complet des interactions entre l’expérience et la biologie dans les premières années », dit Sokolowski.
« La neuroscience dévelopmentale est extraordinairement complexe et dense, et l’utilisation d’une multitude d’angles d’approche nous permet de révéler des convergences sur plusieurs thèmes et de définir une direction plus claire pour la recherche à venir ».
Source du texte et de l’image : Université de Toronto, Media Releases
Traduction : Association Canadienne des Neurosciences
Article de recherche original dans PNAS