La chirurgie est une partie intégrante de la médecine moderne que plusieurs prennent pour acquise. Mais comme toute personne qui a subi une opération le sait, elle comporte des risques. Un des plus important – et celui qui est souvent oublié – reste le fait de se « faire endormir » ou l’anesthésie générale.
Cette procédure fondamentale assure que les patients restent immobiles pendant l’opération. Mais la plupart des gens ignorent que le patient n’est pas réellement endormi. La personne est plutôt dans un coma induit par la drogue. Cet état de risque élevé impose donc un fardeau important à l’anesthésiologiste, qui doit s’assurer que les signes vitaux de l’individu soient maintenus. Heureusement, les personnes formées à la pratique de l’anesthésiologie savent comment maintenir les patients dans cet état en toute sécurité.
Malgré les meilleurs soins, les anesthésiants peuvent avoir des effets secondaires sur le cerveau qui contribuent aux troubles post-chirurgicaux. Un effet secondaire commun est le délire postopératoire, qui est un état de confusion et d’inattention, souvent accompagnée d’hallucinations et parfois même d’agression. Un autre problème, que l’on nomme les déficits cognitifs postopératoires, est caractérisé par une perte de mémoire et des difficultés dans la résolution de problèmes. Ces problèmes peuvent entraver gravement la capacité d’une personne à fonctionner normalement dans la période postopératoire. Ces deux conditions peuvent conduire à des troubles pour le patient pendant et après la récupération. Ils peuvent également ajouter au coût déjà élevé des soins de santé, dû à la prolongation de la durée de séjour hospitalier ou la nécessité d’admission dans les établissements de soins de longue durée.
Il y a une vingtaine d’années, une chercheuse du Sunnybrook Health Science Center, la Dre Beverley Orser, a décidé qu’il était temps de mieux comprendre les effets des anesthésiants sur le cerveau. Sa recherche l’a mené dans les profondeurs du cerveau. Ses résultats, produits au fil des ans, ont également conduit à des révélations dramatiques et des découvertes brevetées. Ils montrent un chemin possible pour réduire les effets délétères des anesthésiants sur le cerveau.
En 2009, le groupe d’Orser a fait une découverte importante sur les effets de l’anesthésie sur le cerveau. Ils ont découvert que la cible d’un anesthésiant commun, l’etominate, était une partie spécifique d’une protéine, la sous-unités alpha 5 du récepteur du GABAa (abbrévié en α5GABAAR). Lorsque l’étominate se liait au récepteur, le cerveau devenait incapable de former des souvenirs. La découverte a été considérée comme un point tournant, car elle a ouvert la porte à des recherches moléculaires plus poussées.
L’équipe d’Orser voulut ensuite savoir combien de temps duraient les effets de l’anesthésie sur le cerveau. Alors qu’il était généralement pris pour acquis que les effets ne duraient que de quelques heures, les recherches ont révélé des troubles de la mémoire qui ont duré pendant des jours. Cette perte de mémoire était due à une augmentation soutenue de la fonction de la protéine bloquant la mémoire. Cela signifiait que les anesthésiants restaient dans le cerveau beaucoup plus longtemps que prévu.
La première solution testée par l’équipe pour maintenir la mémoire était d’empêcher l’expression du récepteur. Quand ils ont bloqué la production de α5GABAAR chez des souris, elles pouvaient former des souvenirs. Ces nouveaux résultats présentaient une voie de traitement potentielle, mais celle-ci s’avérait difficile à mettre en œuvre. Plutôt que de traiter les effets secondaires, ils devaient prévenir leur apparition.
Il a fallu un an, mais l’équipe a finalement trouvé une classe de produits chimiques, connus sous le nom de nootropiques, qui répondait à leur besoins. Dans le laboratoire, le groupe a révélé que ces molécules pouvaient entrer dans les cellules du cerveau et arrêter l’activité de α5GABAAR. Lorsqu’ils ont été testés chez la souris, les résultats ont été spectaculaires. Même avec l’anesthésie, les animaux pouvaient former des souvenirs et les conserver.
Les résultats d’une décennie de travail de l’équipe d’Orser ont contribué à démystifier le fonctionnement des anesthésiants au niveau moléculaire. Considérant le peu de progrès fait au cours des 160 années précédentes, c’est en soi remarquable. Mais le voyage est loin d’être terminé. Avec leur connaissance du mécanisme, ils peuvent envisager des expériences similaires chez les animaux plus grands, et récolter suffisamment de preuves pour soutenir des essais cliniques.
Les prochaines étapes pourraient prendre encore une décennie avant de mener à des résultats utiles aux anesthésiologistes du monde entier. Cependant, vu les risque inhérents à l’anesthésie, cette attente en vaut la peine. L’important, après tout, n’est pas seulement de maintenir les patients en vie, mais aussi de s’assurer qu’ils prospèrent et retournent à leur vie normale.