Pourquoi certaines personnes ont-elles de la difficulté à jouer à « statue » ?

Au parc, un jeu populaire pour les enfants de tous âges est «statue». Le concept est assez simple. Un leader dit aux participants qu’ils sont libres de se déplacer jusqu’à ce que tout le monde soit invité à se figer. Ceux qui ne s’arrêtent pas soudainement sont éliminés et le jeu se poursuit. C’est une excellente façon d’apprendre à faire face aux stimuli environnementaux et à mieux contrôler ses capacités locomotrices. Mais c’est surtout une partie de plaisir.

Pour les neuroscientifiques, comprendre comment nous nous déplaçons dans l’environnement – la locomotion – et comment nous arrêtons, est une quête de plus d’un demi-siècle. Dans les années 1940, les chercheurs ont appris que l’un des quartiers généraux du mouvement se situait dans une région du tronc cérébral appelée formation réticulaire.  Un examen plus approfondi dans les années 1960 a révélé un domaine spécifique au sein de cette formation consacrée à nous faire bouger. Cette région a été appelée la région locomotrice mésencéphalique (abbrévié RLM).

Les chercheurs devaient ensuite apprendre comment les cellules de cette région contrôlaient la locomotion.  Malheureusement, en raison de la complexité du corps humain, trouver la réponse à cette question n’était tout simplement pas possible. Pour avoir une meilleure idée, un système nerveux beaucoup plus simple était requis. Les animaux de routine, comme les chats, les rats et les souris, étaient aussi trop complexes. Les chercheurs devaient chercher encore plus loin dans l’arbre évolutionnaire.

Finalement, l’animal optimal a été trouvé : la lamproie. C’est un petit poisson sans mâchoire avec un système nerveux pleinement fonctionnel qui semble être un ancêtre précoce du réseau nerveux humain. Il possède également la MLR, ce qui indique qu’il s’agit d’un bon modèle pour des études sur la locomotion.

La recherche a pris quelques décennies, mais le Dr Réjean Dubuc à l’Université du Québec à Montréal a compris comment la lamproie commence à se déplacer (s’agissant d’un poisson, à nager). Ils ont trouvé deux types différents de locomotion chez la lamproie. La première, la locomotion sensorielle-évoquée, se fait en réponse à un stimulus, comme le toucher. Un signal sensoriel est intégré dans le tronc cérébral puis envoyé vers la moelle épinière pour produire un mouvement. Mais, la locomotion est aussi souvent initiée en réponse à des indices internes. C’est dans ces cas que le MLR entre en scène et envoie des signaux à la moelle épinière pour initier la locomotion.

Quant à ce qui contrôle l’étendue du mouvement, cette responsabilité tombe sur un groupe de cellules connues sous le nom de cellules réticulo-spinales (RS). Elles relient la formation réticulaire à la moelle épinière. La MLR fait des connexions avec ces cellules RS et leur envoie des signaux électriques. C’est à elles de décider comment traduire ces signaux en action. Dubuc a constaté que, comme un commutateur de gradation, les cellules RS pouvaient interpréter l’intensité du signal MLR et ensuite contrôler l’intensité de la réponse locomotrice.

Les travaux du Dr Dubuc ont donc expliqué comment le mouvement débute, et le type de mouvement choisi, mais il restait encore une question sans réponse : comment s’arrête-t-il ? C’est ce que l’équipe du Dr Dubuc a récemment révélé dans le journal Cell Reports: une population spécifique de cellules RS est responsable du ralentissement, et éventuellement de l’arrêt de la locomotion.

Lorsque l’équipe du Dr Dubuc a examiné la population de cellules RS, ils ont réalisé que trois types différents d’activités était observables suite à la stimulation de la MLR. Ces activités étaient menées par des groupes distincts de cellules. Un groupe était activé au début du mouvement par rafale de décharge. Un autre ensemble maintenait le mouvement, répondant continuellement au signal de la MLR. Enfin, il y avait un groupe activé – également sous forme de rafale – pour arrêter le mouvement.

Ce qui intriguait l’équipe de Dubuc était la rafale qui se produisait à la fin de la stimulation, qui semblait être un signal d’arrêt. Lorsqu’on utilisait des produits chimiques pour stimuler ces «cellules d’arrêt» les lamproies cessaient de nager, ce qui suggère qu’elles étaient responsables de cet arrêt.

Les «cellules d’arrêt» produisaient leur rafale pendant la nage active, ce qui signifie que le signal d’arrêt n’a pas été immédiatement obéi par le reste du corps. Un temps était nécessaire pour réagir de façon appropriée. De plus, ces cellules n’étaient pas requises pour arrêter. Quand elles ont été inactivées, les lamproies réussissaient quand même à arrêter de nager bien que leur capacité était altérée. Cette dernière observation suggère que ces cellules ne sont peut-être pas les seules à contrôler l’arrêt; elles serviraient donc plutôt à accélérer l’arrêt.

Les résultats de cette étude révèlent un ensemble assez complexe d’actions nécessaires pour s’arrêter, en particulier en réponse aux signaux environnementaux. Pourtant, ces informations sont suffisantes pour fournir une excuse à quiconque perd au jeu de statue.  Il suffit de blâmer les cellules RS de ne pas bien écouter la MLR. Certes, cette excuse ne sera pas suffisante pour vous ramener au jeu, mais elle engendrera certainement une discussion intéressante sur le banc que vous partagerez avec les autres qui ont également oublié de rester immobiles.

Article de recherche original:

Juvin L, Gratsch S, Trillaud-Doppia E, Gariepy JF, Buschges A, Dubuc R. A Specific Population of Reticulospinal Neurons Controls the Termination of Locomotion. Cell Rep. 2016;15(11):2377-86. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S221112471630612X