Comment le cerveau interprète-t-il le mouvement ?

La plupart des gens prennent la détection du mouvement pour acquise.  Nos yeux voient quelque chose qui bouge, et un signal est envoyé au cerveau pour nous en avertir. Malgré la simplicité de la tâche, les mécanismes sous-jacents à cette capacité sont incroyablement complexes. Ils ont été étudiés pendant plus de cinquante ans et ces circuits sont probablement parmi les mieux décrits du cerveau. Pourtant, les chercheurs n’ont pas encore tout découvert.

La rétine, qui se situe à l’arrière de l’œil, agit essentiellement comme un enregistreur et un traducteur pour les centres visuels supérieurs dans le cerveau. La lumière pénètre dans la pupille et, par un processus multicouches, les images complexes sont simplifiées et traduites en un code électrique binaire. Des circuits spécialisés de la rétine travaillant en parallèle sont utilisés pour encoder les différents aspects des scènes visuelles, comme la couleur, le mouvement et la forme.  Pour accomplir cette tâche, une variété de types de cellules sont nécessaires, y compris:

  • Les photorécepteurs, qui réagissent à la lumière
  • Les cellules bipolaires, qui relient les photorécepteurs aux cellules ganglionnaires rétiniennes (CGR);
  • Les cellules amacrines inhibitrices, qui contrôlent les signaux des cellules bipolaires vers les CGR; et
  • Les cellules ganglionnaires rétiniennes, abrévié CGR, qui fusionnent les signaux des cellules bipolaires et amacrines pour créer un code binaire.

La direction des objets en mouvement est calculée par un ensemble de CGR, nommés cellules sensibles à la direction, qui ne répondent au mouvement que s’il se produit dans le sens de leur direction  «préférée», alignée avec les axes cardinaux (N, S E ou O). La recherche des mécanismes de la détection de direction a révélé l’implication de trois neurotransmetteurs: le glutamate, l’acétylcholine (aussi appelée ACh) et l’acide gamma-aminobutyrique, abrévié GABA.

Une grande partie de la capacité des CGR à coder la direction provient des signaux inhibiteurs évoqués dans les cellules lors de mouvement de sens nul, fournis par un groupe particulier de cellules amacrines, connues sous le nom de Starburst ou SAC. Cependant, les mêmes SAC qui produisent des signaux inhibiteurs requis pour la sélectivité de direction émettent également des signaux d’excitation, par la libération d’ACh. L’énigme de ce qui pourrait être décrit comme l’application du frein et de l’accélérateur en même temps a confondu les chercheurs pendant plusieurs décennies. Une étude récente du Dr Gautam Awatramani et son équipe, à l’Université de Victoria, peut maintenant fournir une réponse à cette énigme de longue date.

L’équipe a étudié des rétines isolées de souris maintenues vivantes dans un plat en leur fournissant de l’oxygène et d’autres nutriments. Ce système leur permettait d’étudier les propriétés d’un circuit neural intact. Ils ont utilisé une méthode complexe de mesure utilisant des électrodes en verre finement tirées pour mesurer les réponses électriques de cellules uniques. Ils pouvaient ainsi identifier les propriétés physiologiques des circuits codant la direction avec une résolution incroyable.

Dans ces conditions, les CGR continuaient de réagir sélectivement à une direction particulière et les SAC émettaient bien les signaux excitateurs et inhibiteurs nécessaires. Mais ils purent enfin voir comment les signaux de frein et d’accélérateur travaillaient ensemble. Il s’avère que la signalisation des SACs par les neurotransmetteurs ACh / GABA suivait un timing incroyablement précis. Pendant des mouvements dans des directions non préférées, les SAC émettaient de l’ACh et du GABA simultanément, conduisant à une inhibition nette des CGR. Mais quand la direction préférée était reconnue, les signaux ACh précédaient de quelques millisecondes les signaux GABA. Ce changement subtil mais efficace produisait une forte stimulation des CGR, et permettait ainsi de reconnaitre la direction et le temps.

Le résultat fut controversé. L’idée que les SAC pourraient avoir un rôle clé dans codage de direction allait à l’encontre d’une théorie émergente suggérant que les facteurs de sélectivité de direction étaient les cellules bipolaires. L’équipe d’Awatramani a dû utiliser des techniques d’optogénétique pour directement manipuler des SAC génétiquement modifiés en utilisant la lumière pour prouver leurs résultats de façon concluante. L’expérience impliquait d’abord le blocage des photorécepteurs et des cellules bipolaires avec des médicaments afin qu’ils n’émettent aucun signal; Dans ces conditions, si une direction était détectée et codée, elle devait venir des SAC, qui étaient génétiquement modifiés pour être sensibles à la lumière. Lorsqu’ils ont stimulé le réseau, les RGC ont répondu de manière sélective. L’expérience a été un succès, confirmant le rôle des SAC dans la détection de la direction.

Les résultats de cette étude publiés dans le Journal Neuron permettent de mieux comprendre la complexité de la détection de la direction et offrent un mécanisme permettant de concevoir des expériences futures. Cependant, à plus vaste échelle, les résultats suggèrent que la co-libération de GABA / ACh, tels qu’observé dans les SACs pourrait être un modèle parfait pour assurer l’inhibition/excitation haute fidélité dans d’autres parties du cerveau.  Ceci pourrait constituer une modèle pour l’amélioration de la conception des réseaux informatiques, la fiabilité de l’Internet et même la résolution des appareils audiovisuels.

Article de recherche original:

Sethuramanujam S, McLaughlin AJ, deRosenroll G, Hoggarth A, Schwab DJ, Awatramani GB. A Central Role for Mixed Acetylcholine/GABA Transmission in Direction Coding in the Retina. Neuron. 2016 Jun 15;90(6):1243-56.