En 1834, alors qu’il marchait près du Loch Ness en Ecosse, l’éminent chercheur Robert Addams a rapporté un étrange phénomène. Comme il regardait les chutes de Foyers, il semblait voir les rochers bouger. Plus précisément, elles se déplaçaient dans le sens opposé de l’eau. Sachant que les pierres étaient immobiles, il se demanda comment ses yeux l’avaient trompé. Il conçut une théorie selon laquelle les yeux ont tendance à suivre le mouvement et peuvent donc indûment percevoir du mouvement dans des objets inertes.
Ce phénomène est connu sous le nom de motion aftereffect, ou MAE. Quand les yeux voient du mouvement pendant de longues périodes de temps, la personne s’adapte à cet état et peut transférer le mouvement sur d’autres objets. Au cours des 50 dernières années, plusieurs paramètres du MAE ont été déterminés. Deux des plus influents sont la taille et le contraste de l’objet en mouvement. Un contraste croissant entre l’objet et l’arrière-plan conduit à un plus grand MAE. Pourtant, en termes de taille, les petits objets semblaient avoir une plus grande influence que les plus grands. À mesure que l’objet grandit en taille et en contraste, la capacité de percevoir son mouvement – et donc de développer le MAE – est réduite. Ces derniers résultats ont été confirmés en utilisant le suivi de vitesse de l’oeil.
Malgré une compréhension extérieure de l’effet du mouvement sur la perception, on n’avait jusqu’à tout récemment que très peu d’informations sur le mécanisme neurologique sous-jacent. Alors que plusieurs pensaient que cette perception se produisait uniquement à la rétine de l’œil, d’autres ont suggéré qu’il pourrait y avoir un rôle pour une partie du cerveau appelée région temporale moyenne du cortex visuel, en particulier la zone visuelle 5 (MT / V5).
Maintenant, nous sommes plus près de comprendre grâce aux Drs Liu D. Liu et Christopher Pack de l’Institut neurologique de Montréal de l’Université McGill. En collaboration avec Ralf Haefner de l’Université de Rochester, ils ont documenté une des bases neurologiques de la perception visuelle du mouvement et vu comment elle pouvait être mal interprétée. Leurs résultats ont été publiés dans eLife
L’équipe a effectué ses études chez deux singes rhésus dont les mouvements oculaires et les fonctions cérébrales pouvaient être surveillés en temps réel en utilisant une combinaison de suivi oculaire infrarouge et d’enregistrements électrophysiologiques de la région MT/V5. Avant que les expériences ne puissent commencer, les animaux ont été entrainés à fixer leur vision sur un point spécifique au milieu d’un écran. C’était le point de contrôle. Pour les expériences, à différents intervalles, le point de contrôle disparaissait, et un autre apparaissait dans une zone différente. Le singe suivait le point et des données sur le mouvement des yeux et l’activité des neurones ont été recueillies. Le test a été réalisé entre 20 et 40 fois pour donner une certaine signification statistique. Le test a été effectué à l’aide d’une variété de tailles de points et de contrastes afin de déterminer comment ces paramètres affectaient la perception du mouvement.
Lorsque le test a été terminé, les chercheurs ont mené une série d’analyses de données pour corréler le mouvement des yeux avec l’activité des neurones. S’il y avait peu de corrélation entre le mouvement et la réponse neuronale, l’action était considérée comme du bruit. Avec ce système, ils pouvaient alors examiner les résultats et déterminer comment la taille et le contraste affectent la perception du mouvement. Tel qu’attendu, ils ont vu qu’une taille et un contraste plus grands menaient à une mauvaise perception du mouvement. Mais quand ils ont examiné comment le cerveau a contribué à cette découverte, l’équipe a trouvé des indices suggérant une fonction imprévue.
Le nombre de neurones actifs dans la région MT / V5 augmentait avec la taille de l’objet, mais l’emplacement de cette augmentation était limité aux zones associées au suivi optique de l’objet. Le résultat a été la production de signaux non sélectifs, également appelés bruit. En revanche, les neurones responsables de la détection de l’environnement n’ont pas émis de signaux aussi souvent que prévu. En conséquence, la capacité des singes à distinguer l’objet de son environnement a été entravée.
Les auteurs ont suggéré le mécanisme suivant pour expliquer le phénomène: quand la taille et la luminosité augmentait, un type de désensibilisation neuronale s’effectuait dans la région MT / V5 en raison d’une perception accrue de bruit. En réponse à ce bruit, les neurones responsables de percevoir l’environnement étaient moins actifs, menant à une suppression spatiale et à une perception amoindrie du mouvement. Essentiellement, les animaux étaient désensibilisés à l’objet. Ce type de suppression spatiale est également observée chez les personnes âgées et les personnes souffrant de schizophrénie, suggérant de nouvelles avenues de recherche.
L’étude peut aider à expliquer pourquoi Robert Addam a vu bouger des pierres qu’il savait immobiles. L’eau très grande et contrastée des chutes de Foyers a conduit à un déséquilibre dans l’activation des neurones de la région MT / V5 semblable à la désensibilisation. Avec la suppression spatiale venant compenser pour le bruit, le compromis serait d’assigner du mouvement à la zone environnante, soit les pierres, qui semblaient donc bouger.
Article de recherche original:
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4882155/.