Une étude recommande des façons de traiter ces déficits avant l’apparition de symptômes psychiatriques.
MONTRÉAL, le 12 août 2014 – Des chercheuses de l’Université de Montréal et du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine ont retracé les origines du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), de la toxicomanie et du trouble des conduites et ont constaté que ces troubles sont associés aux mêmes déficits neurocognitifs, ce qui explique leur concomitance fréquente. « La psychopathologie touche de multiples dimensions du fonctionnement cérébral. Certaines dimensions entraînent une multitude de problèmes, tandis que d’autres déclenchent des problèmes précis. Ensemble, elles expliquent les schémas de comorbidité, notamment la raison pour laquelle le TDAH et le trouble des conduites sont si souvent associés à la toxicomanie, explique la professeure Patricia Conrod, coauteure de l’étude. Nos recherches révèlent que le risque d’externalisation des problèmes est continu au sein de la population générale, qu’il est facilement mesurable et qu’il peut être cerné avant même l’apparition de problèmes observables. Les résultats de l’étude contribuent aussi à réduire la stigmatisation et à surmonter certaines difficultés liées au diagnostic et au traitement des problèmes psychiatriques concomitants. Ainsi, les cliniciens peuvent gérer de multiples problèmes psychiatriques et se concentrer sur quelques dimensions neurocognitives principales au moment d’évaluer le fonctionnement d’un adolescent. La prochaine étape consiste à élaborer des stratégies d’intervention fondées sur des données probantes qui cibleront ces éléments du fonctionnement cérébral. »
Ces résultats ont été obtenus par l’analyse de la sensibilité aux récompenses et des décisions connexes de 1 778 Européens âgés de 14 ans au profil démographique comparable. Ces adolescents devaient passer un test d’imagerie par résonance magnétique (IRM) en effectuant plusieurs tâches et répondre à des questionnaires sur la personnalité. Des cliniciens ont évalué les participants au moment des tests et une autre fois, deux ans plus tard. Lorsqu’ils étaient âgés de 14 ans, 4,4 % des participants s’étaient vu diagnostiquer un trouble des conduites, un TDAH ou les deux. À l’âge de 16 ans, ce pourcentage a grimpé à 6,6 %. La consommation abusive d’alcool et de drogues a également été analysée : la prévalence à l’âge de 14 ans était de 3,7 % et 10,6 %, respectivement et, à l’âge de 16 ans, de 18 % et 27,1 %, respectivement.
Les chercheuses ont eu recours à la modélisation statistique pour déceler clairement les liens entre les facteurs de risque et les symptômes psychiatriques. « Il s’agit de la première modélisation du TDAH, du trouble des conduites et de la toxicomanie à l’adolescence fondée sur une approche statistique novatrice qui repère les variables communes de ces problèmes ainsi que les facteurs de risque neurocognitifs qui y sont couramment associés. Trois principales dimensions neurocognitives liées à la plupart des problèmes externalisés ont été cernées : les gestes impulsifs, les choix impulsifs (c.-à-d. préférer les récompenses immédiates aux récompenses à plus long terme) et la sensibilité aux récompenses. Nous avons constaté que, dans le cas de toutes ces dimensions, le comportement et le fonctionnement cérébral de l’adolescent sont associés à l’externalisation des problèmes. L’impulsivité autodéclarée, les gestes impulsifs dans le cadre d’une tâche d’inhibition de réponse et la mesure dans laquelle le lobe frontal est hypoactif au moment de faire un geste impulsif différencient les jeunes les plus à risque d’être atteints d’un TDAH et d’un trouble des conduites des jeunes à risque d’adopter des comportements nuisibles en général. La recherche de sensations fortes et l’activité anormale du lobe frontal du cerveau au moment d’anticiper une récompense étaient différentes chez les jeunes uniquement à risque de consommation abusive d’alcool que chez ceux à risque d’avoir toutes sortes de problèmes, explique Natalie Castellanos-Ryan, coauteure de l’étude. Nous avons récemment observé en psychiatrie une tendance qui consiste à reformuler les catégories diagnostiques dans une perspective dimensionnelle et neuroscientifique, en raison particulièrement des taux élevés de comorbidités entre certains troubles, et c’est exactement ce que nous faisons au chapitre des troubles et des problèmes externalisés. Nos constatations appuient cette nouvelle approche “dimensionnelle” de la recherche psychiatrique; elles démontrent que ces troubles et ces problèmes partagent des variables importantes, présentent des facteurs de risques communs et touchent en continu une partie de la population générale. »
Les observations jettent la lumière sur les déficits cognitifs que l’on pourrait cibler dans le but de traiter des cas de comorbidités (p. ex., les adolescents qui se sont vus diagnostiquer un trouble des conduites et un problème de toxicomanie). « Les personnes atteintes de comorbidités sont plus difficiles à traiter et ont un pronostic plus négatif que celles qui n’en sont pas atteintes, et il existe en ce moment très peu d’interventions et de stratégies cliniques pour le traitement des comorbidités, affirme Mme Castellanos-Ryan. Il serait avantageux d’intégrer aux stratégies de prévention et d’intervention pour les problèmes externalisés – c’est-à-dire le TDAH, le trouble des conduites et la toxicomanie – des éléments de formation axés sur le fonctionnement cérébral ou les déficits associés aux gestes impulsifs, aux choix impulsifs et à la sensibilité aux récompenses. De plus, nos observations laissent croire que de nouvelles stratégies d’intervention et de prévention visant ces déficits sur les plans cognitif, neural ou de la personnalité pourraient améliorer certains résultats cliniques durant l’adolescence, peut-être même avant que les problèmes ne surviennent. »
À propos de l’étude
Natalie Castellanos-Ryan, Ph. D. et la professeure Patricia Conrod, Ph. D. sont des chercheuses affiliées au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Mme Castellanos-Ryan est également affiliée avec l’École de psychoéducation de l’université. Avec ses collègues, elle a publié l’article « Neural and Cognitive Correlates of the Common and Specific Variance Across Externalizing Problems in Young Adolescence » dans l’American Journal of Psychiatry, le 30 juillet 2014. La recherche a été soutenue par le projet intégré IMAGEN (The IMAGEN study : reinforcement-related behaviour in normal brain function and psychopathology; LSHM-CT- 2007-037286) du sixième programme-cadre de l’Union européenne, le projet IMAGEMEND (Imaging Genetics for Mental Disorders) du septième programme-cadre, le projet EU-AIMS (115300-2) de l’initiative en matière de médicaments innovants, la subvention de programme « Developmental Pathways Into Adolescent Substance Abuse » (93558) du Medical Research Council et l’organisme de financement suédois FORMAS. Un soutien supplémentaire a été fourni par le ministère fédéral allemand de l’Éducation et de la Recherche (subventions 01GS08152 et 01EV0711) et la Fondation allemande pour la recherche (bourse Rienhart-Koselleck SP 383/5-1 et subventions SM80/5-2, SM80/7-1 et SFB 940/1). Le salaire de Natalie Castellanos-Ryan et celui de Patricia Conrod sont assumés par le Fonds de recherche du Québec – Santé.
Source du texte: William Raillant-Clark, Université de Montréal
Article de recherche original: Castellanos-Ryan N, Struve M, Whelan R, Banaschewski T, Barker GJ, Bokde AL, Bromberg U, Büchel C, Flor H, Fauth-Bühler M, Frouin V, Gallinat J, Gowland P, Heinz A, Lawrence C, Martinot JL, Nees F, Paus T, Pausova Z, Rietschel M, Robbins TW, Smolka MN, Schumann G, Garavan H, Conrod PJ; The IMAGEN Consortium.