21 octobre – Une nouvelle recherche révèle les arcanes de la prise de décision. Les oiseaux choisissant entre des arbustes fruitiers et des investisseurs négociant des valeurs mobilières ont le même défi fondamental – faire des choix optimaux dans un environnement présentant divers coûts et avantages.
Une étude de neuroéconomie de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal – le Neuro de l’Université McGill, montre que le cerveau emploie deux régions et deux processus distincts pour évaluer des « stimulus » ou « biens » (par exemple des arbustes fruitiers), par opposition à évaluer les « actions » nécessaires pour obtenir l’option désirée (par exemple les trajectoires de vol vers les arbustes). L’étude, dont les conclusions sont publiées dans la plus récente édition de Journal of Neuroscience, a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Elle permet d’approfondir les connaissances sur la fonction du cerveau, mais aussi de mieux traiter et comprendre les effets des atteintes au lobe frontal, qui peuvent être une caractéristique d’affections neurologiques communes, qu’il s’agisse de l’AVC, du traumatisme cérébral ou de la démence.
La prise de décision – choisir l’option la plus valable, généralement en privilégiant une action – exige d’établir des comparaisons de la valeur. Or, la façon dont le cerveau procède à ces comparaisons fait débat : la valeur est-elle liée à l’objet même ou à l’action nécessaire pour obtenir cet objet? Choisissons-nous entre la chose que nous désirons ou entre les actions à prendre? Le modèle dominant de prise de décision propose que les comparaisons de valeur se produisent en série, l’information sur la valeur de stimulus contribuant aux actions (le système moteur du corps). « Cette étude cherchait à comprendre comment le cerveau utilise de l’information sur la valeur pour prendre des décisions entre différentes actions et entre différents objets », explique la chercheuse principale de l’étude, Dre Lesley Fellows, neurologue et scientifique au Neuro. « La conclusion surprenante et nouvelle est qu’en fait ces deux mécanismes de choix sont indépendants l’un de l’autre. Ce sont des processus distincts dans le cerveau par lesquels l’information sur la valeur guide les décisions, selon que le choix porte sur des objets ou sur des actions. » Dre Fellows voit souvent des patients présentant une atteinte au lobe frontal, où se situent les régions de prise de décision dans le cerveau. « Cette conclusion jette une nouvelle lumière sur ce qui se passe dans le cerveau de mes patients et pourrait engendrer de nouveaux traitements et de nouvelles façons pour les soigner et gérer leurs symptômes. »
« Malgré l’ubiquité et l’importance de la prise de décision, nous disposions jusqu’à maintenant d’une compréhension limitée de son fondement dans le cerveau », de dire Dre Fellows. « Psychologues, économistes et écologistes étudient la prise de décision depuis des décennies, mais les neuroscientifiques ne s’y intéressent que depuis peu. Pour les cliniciens, ce désintérêt relatif est étonnant; neurologues et psychiatres associent depuis longtemps un manque de jugement à des états allant de la démence à la toxicomanie. » Les mauvaises décisions que prennent de tels patients peuvent avoir des conséquences désastreuses pour la société et les mener devant l’appareil judiciaire, et affligent et désavantagent les patients et leurs proches. « Ce champ d’études constitue un changement de paradigme dans notre perspective sur les troubles du lobe frontal. Nous savons depuis longtemps que les patients présentant une atteinte du lobe frontal ont du mal à s’organiser et à planifier pour atteindre des objectifs. Or, cette nouvelle recherche permet de constater qu’une lésion au lobe frontal rend malaisés le choix d’un objectif préféré ou le fait de se rappeler ce qu’on désire vraiment. Cela pourrait expliquer les choix imprévisibles, impulsifs ou inappropriés que font parfois certaines personnes. »
L’étude a examiné l’apprentissage axé sur la valeur d’actions et la valeur de stimulus chez des patients présentant une lésion au lobe frontal. « Étudier une zone atteinte du cerveau fournit de l’information particulièrement solide pour prouver si cette zone est indispensable à une fonction particulière », de dire Dre Fellows. Deux groupes de patients présentant une atteinte de différentes parties des lobes frontaux ont joué à des jeux où ils apprenaient à choisir entre deux actions (les mouvements de torsion d’une manette) ou entre des objets (des jeux de cartes). Ils gagnaient ou perdaient de l’argent Monopoly selon leurs choix et apprenaient graduellement quels choix étaient les meilleurs. La capacité des personnes ayant une atteinte du cortex orbitofrontal à faire le bon choix de stimulus (le meilleur jeu de cartes) était perturbée, mais elles pouvaient choisir normalement entre différentes actions. En revanche, des personnes ayant une atteinte dans une région distincte du lobe frontal – le cortex cingulaire antérieur dorsal – avaient le déficit contraire. Elles n’étaient pas aussi bonnes pour choisir entre deux actions ayant des valeurs différentes, mais elles pouvaient choisir entre des objets aussi bien que des participants sans lésion au cerveau. Ces résultats indiquent que le cortex orbitofrontal joue un rôle important dans la liaison de stimulus à leurs valeurs relatives subjectives et que le cortex cingulaire antérieur dorsal joue un rôle similaire dans la sélection d’une action fondée sur la valeur. Il semble que le cerveau ait des systèmes au moins en partie distincts pour prendre une décision entre des actions et des objets.
« Comme clinicienne, mes patients éclairent la recherche que je mène et, comme chercheuse, mes travaux me guident sur la façon de mieux traiter et prendre en charge les patients, et me font mieux comprendre la fonction du cerveau. » Des études reconstituant la filière neuronale du processus décisionnel chez des patients présentant une lésion au lobe frontal montrent que des outils de neurosciences cognitives peuvent permettre de comprendre ce comportement complexe et élargir les perspectives sur les maladies marquées par une dysfonction du lobe frontal.
Dre Fellows est directrice par intérim du Département de neurologie et neurochirurgie, Université McGill, et neurologue au Neuro. Elle est chercheuse-boursière du Fonds de recherche en santé du Québec et a reçu nombre de bourses durant sa carrière, dont une bourse Rhodes. Cette spécialiste reconnue en neurosciences cognitives a pour principal champ d’investigation les fondements cérébraux de la prise de décision. Elle s’intéresse aussi au rôle des lobes frontaux dans la régulation de l’émotion, l’expression des traits de personnalité et la représentation de l’information passée et future.
Source du texte: le Neuro
L’Institut et hôpital neurologiques de Montréal
L’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, le Neuro, est un centre médical universitaire unique qui se consacre aux neurosciences. Cet institut de recherche et de formation rattaché à l’Université McGill est au cœur de la mission en neurosciences que s’est donnée le Centre universitaire de santé McGill. Fondé en 1934 par le réputé Dr Wilder Penfield, le Neuro est reconnu dans le monde entier pour la manière dont il intègre la recherche, des soins prodigués avec compassion aux patients et la formation de pointe, autant de facteurs sans lesquels la science et la médecine ne pourraient progresser. Ses chercheurs sont des chefs de file mondiaux dans les neurosciences cellulaires et moléculaires, en imagerie cérébrale, en neurosciences cognitives ainsi que dans l’étude et le traitement de l’épilepsie, de la sclérose en plaques et des troubles neuromusculaires. Dans son budget de 2007, le gouvernement fédéral a fait de l’Institut neurologique de Montréal un des sept centres d’excellence du Canada, ce qui a lui a permis d’obtenir 15 millions de dollars pour financer ses recherches et ses activités de commercialisation dans le domaine des maladies neurologiques et des neurosciences.
Les Instituts de recherche en santé du Canada
Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) sont l’organisme du gouvernement du Canada chargé d’investir dans la recherche en santé. Leur objectif est de créer de nouvelles connaissances scientifiques et de favoriser leur application en vue d’améliorer la santé, d’offrir de meilleurs produits et services de santé, et de renforcer le système de santé au Canada. Composés de 13 instituts, les IRSC offrent leadership et soutien à plus de 14 100 chercheurs et stagiaires en santé dans tout le Canada. www.irsc-cihr.gc.ca