Les schizophrènes interprètent souvent mal le monde qu’ils voient et ressentent. Une nouvelle étude donne un aperçu des mécanismes du cerveau qui pourraient être à l’origine de cette interprétation erronée. L’étude menée à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, le Neuro, de l’Université McGill et du Centre universitaire de santé McGill révèle que certaines erreurs dans la perception visuelle chez les schizophrènes coïncident avec une interférence, ou « bruit », dans un signal cérébral précis – la décharge corollaire. Les décharges corollaires s’observent dans l’ensemble du règne animal, des insectes aux poissons aux humains, et passent pour être cruciales dans le suivi de ses propres actes. L’étude, publiée dans l’édition du 2 avril deJournal of Neuroscience, identifie chez les schizophrènes une dysfonction de la décharge corollaire qui pourrait aider au diagnostic et au traitement de cette maladie complexe. L’étude a été menée en collaboration avec les chercheuses Veronica Whitford, Gillian O’Driscoll et Debra Titone du Département de psychologie de l’Université McGill.
« Une décharge corollaire est une copie d’un message du système nerveux transmise à d’autres parties du cerveau, afin de nous rendre conscients que nous effectuons quelque chose », explique le Pr Christopher Pack, neuroscientifique au Neuro et chercheur principal de l’étude. « Par exemple, si nous désirons remuer un bras, l’aire motrice du cerveau envoie aux muscles un signal de produire un mouvement. Une copie de cette commande, qui est la décharge corollaire, est envoyée à d’autres régions du cerveau pour les informer de l’imminence du mouvement. Si vous déplaciez votre bras, sans qu’il y ait de signal de décharge corollaire, vous pourriez présumer qu’une autre personne est en train de remuer votre bras. Il en va de même pour la formulation de pensées : sans décharge corollaire, vous pourriez présumer qu’une autre personne a planté la pensée dans votre esprit. La décharge corollaire assure la communication entre les différentes zones du cerveau, pour que nous soyons conscients que nous sommes en train de remuer le bras, de parler ou de penser à nos propres pensées. »
La schizophrénie est une maladie qui interfère avec la capacité de penser clairement et de gérer les émotions. Les schizophrènes attribuent souvent leurs propres pensées et actes à des sources externes, comme dans le cas d’hallucinations auditives. Parmi d’autres symptômes courants figurent le délire et une désorganisation de la pensée et de la parole.
Selon de récentes études, une décharge corollaire altérée peut être à l’origine de certains de ces symptômes. Or, la nature de cette anomalie était inconnue. Dans leur étude, le Pr Pack et ses collègues (dont Alby Richard, résident en neurologie au Neuro) ont utilisé un test appelé tâche de localisation périsaccadique pour étudier l’activité de décharge corollaire. Les sujets testés doivent faire des mouvements oculaires rapides pour suivre un point sur un écran d’ordinateur. Ils doivent en même temps localiser des stimuli visuels qui apparaissent brièvement à l’écran de temps à autre. Pour effectuer cette tâche correctement, les sujets doivent savoir où ils regardent à l’écran – bref, utiliser les signaux de décharge corollaire qui viennent des structures cérébrales contrôlant les muscles oculaires.
Les résultats montrent que les schizophrènes arrivaient moins bien à déterminer où ils regardent. Par conséquent, ils ont fait plus d’erreurs dans l’estimation de la position des stimuli qui clignotaient à l’écran. « Ce qui est intéressant et potentiellement important sur le plan clinique, c’est que le profil d’erreurs des patients était en corrélation avec l’étendue de leurs symptômes », de préciser le Pr Pack. « C’est particulièrement intéressant vu que les circuits contrôlant les mouvements oculaires comptent les structures les mieux comprises du cerveau. Nous sommes donc optimistes de pouvoir arriver jusqu’à la base biologique des effets de décharge corollaire à partir des données comportementales. Nous avons commencé ce processus grâce à la modélisation informatique. Nous arrivons à convertir de façon mathématique la décharge corollaire d’un sujet témoin sain en celle d’un schizophrène, en y ajoutant bruit et aléatoire. Ce n’est pas que les schizophrènes sont dépourvus de décharge corollaire ou qu’ils aient une décharge corollaire avec une amplitude à retardement ou plus faible. C’est plutôt qu’ils semblent surtout avoir un signal de décharge corollaire bruyant. Ce test visuel est très simple à réaliser et très sensible aux différences individuelles. »
L’étude montre que les schizophrènes font de plus grandes erreurs dans la localisation de stimuli visuels par rapport aux témoins. Ces résultats pourraient s’expliquer par le signal de décharge corollaire, qui prédit aussi la gravité des symptômes des patients, tendant à indiquer un fondement possible pour certains des symptômes les plus courants de la schizophrénie. Ces travaux ont été subventionnés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, la Brain & Behavior Research Foundation (NARSAD) et la Fondation EJLB.
Source du texte: Bulletel de la faculté de médecine – McGill
Original research article:
Richard A, Churan J, Whitford V, O’Driscoll GA, Titone D, Pack CC.
Perisaccadic perception of visual space in people with schizophrenia. J Neurosci. 2014 Apr 2;34(14):4760-5. doi: 10.1523/JNEUROSCI.4744-13.2014. PubMed PMID: 24695696.