Pourquoi certains souvenirs sont-ils liés ?

Avez-vous déjà remarqué que lorsque vous vous rappelez d’un événement passé, des événements liés vous viennent également à l’esprit ? Cette association semble encore plus prononcée lorsqu’on se souvient d’événements émouvants, comme par exemple les événements tragiques du 11-septembre. Alors que plusieurs d’entre nous constatent cette association de souvenirs, le mécanisme sous-tendant leur formation constitue une énigme biologique.

La première description des souvenirs associés a été faite en 1908.  À l’époque, le biologiste évolutionnaire Richard Semon a choisi d’appeler le phénomène un « engram ».  Il l’a défini comme « une modification durable mais essentiellement latente de la substance irritable produite par un stimulus ». Il constata que des événements particuliers pouvaient, par un mécanisme inconnu, activer le cerveau de sorte qu’une collection de souvenirs puisse se former.

Au fil des ans, de nombreuses théories sur la formation des engram ont été élaborées, mais aucune n’a révélé les mécanismes sous-jacents impliqués. Les résultats d’un groupe de chercheurs de l’Hôpital SickKids de Toronto, dirigé par les Drs Sheena Josselyn et Paul Frankland, jettent la lumière sur le sujet. Leurs travaux ont été publiés dans la revue Science.

Comme beaucoup d’événements marquants causent des engrams – tels que des assassinats, des catastrophes naturelles et des actes de terrorisme – le groupe a utilisé un stimulus émotionnel fort, la peur, pour provoquer des engrams chez la souris. Deux types différents de stimuli ont été utilisés afin que les réactions puissent être interprétées séparément. L’équipe a également programmé le temps du stimulus de peur pour déterminer si ce temps était corrélé à la formation d’engram.

Dans les premières expériences, l’équipe a présenté un événement qui a été séparé du stimulus de peur soit par six heures ou par vingt-quatre heures. Le souvenir de l’événement se produisant à moins de six heures du stimulus de peur a été renforcé, mais pas celui de l’événement se produisant après un laps de temps de vingt-quatre heures. Ceci aide à expliquer pourquoi nous semblons avoir plusieurs souvenirs associés à une occurrence majeure.

L’équipe a ensuite tenté d’identifier le mécanisme derrière cette association, ou co-allocation, de mémoire. Dans ces expériences, le groupe a étudié la présence d’une protéine particulière, qu’il savaient impliquée dans la mémoire, appelée «adénosine monophosphate cyclique / calcium ion-Response Element Binding protein», ou CREB. Le groupe de Josselyn savait que CREB jouait un rôle important dans le développement des souvenirs dans une partie du cerveau nommée l’amygdale latérale. Les niveaux de CREB en combinaison avec l’excitabilité d’un neurone dictent normalement si un neurone participera à encoder un souvenir.

L’équipe voulait déterminer si la co-allocation des souvenirs, les engrams, dépendait aussi des niveaux de CREB et des niveaux d’excitabilité des neurones. Le groupe a utilisé des techniques optogénétiques pour modifier les neurones dans l’amygdale latérale de telle sorte que la lumière bleue les exciterait alors que la lumière rouge les inhiberait. Comme prévu, l’excitation a conduit à l’allocation de mémoire tandis que l’inhibition a empêché le processus. Pour tester CREB, un virus a été utilisé pour infecter les cellules et ainsi augmenter ou réduire les niveaux de cette protéine. Encore une fois, des niveaux plus élevés ont conduit à la participation au souvenir, tandis qu’une réduction de la molécule a résulté en une baisse de capacité de rappel.

L’équipe devait encore montrer comment les neurones se connectaient pour former un engram. Parmi le grand nombre de neurones de l’amygdale latéral, des centaines seraient probablement prêts à participer à l’encodage de souvenirs. Pourtant, il y avait des gagnants et des perdants dans la compétition, et certains ne participaient pas. Il devait exister un contrôleur semblable à un portier travaillant à guider la formation de ces souvenirs liés.

Sur la base de l’anatomie de l’amygdale latéral, le meilleur candidat était un groupe de cellules connues sous le nom d ‘interneurones PV (« interneurones parvalbumine libérant de l’acide gamma-aminobutyrique»). Ces cellules ont une tâche simple: inhiber la signalisation généralisée. Lorsque l’équipe a examiné ces cellules, elles étaient très actives autour des cellules inactives (« perdantes ») dans les six premières heures après l’événement de peur. Après vingt-quatre heures, cependant, les cellules PV étaient calmes. De la même manière, si les interneurones PV étaient inhibés, les «perdantes» pouvaient acquérir des souvenirs.

Ces expériences offrent un mécanisme possible pour la création d’engrams. Le stimulus de peur est initialement mémorisé dans un groupe de cellules « gagnantes », qui sont des neurones possédant des niveaux élevés de CREB et d’excitabilité. Une fois les gagnantes choisies, les interneurones PV « ferment les portes » pour empêcher la participation des «perdantes». Cette restriction dure un certain nombre d’heures de sorte que tous les autres événements mémorables sont co-alloués aux mêmes neurones. La restriction est ensuite levée.

Le dévoilement de ce mécanisme aide à comprendre les nombreux de souvenirs associés à des occasions historiques. Mais l’information pourrait également être utilisée pour aider à développer de meilleures techniques de mémorisation à l’avenir, pour étudier pour des examens ou se rappeler de dates importantes. Le potentiel d’améliorer la mémoire est à portée de main et pourrait un jour vous aider à mieux vous souvenir de la vie.

Article de recherche original:

Han JH, Kushner SA, Yiu AP, Cole CJ, Matynia A, Brown RA, Neve RL, Guzowski JF, Silva AJ, Josselyn SA. Neuronal competition and selection during memory formation. Science. 2016 Apr 20;316(5823):457-60.

http://science.sciencemag.org/content/316/5823/457.long