L’équipe d’Yves De Koninck démontre que la douleur chronique dépend d’un dérèglement cellulaire qui peut être corrigé
Des chercheurs de la Faculté de médecine viennent de franchir un pas de plus vers la mise au point d’une nouvelle classe de médicaments pour soulager les douleurs chroniques. Yves De Koninck, de l’Institut universitaire de santé mentale de Québec, et 18 autres chercheurs rapportent dans les pages du dernier numéro de Nature Medicine qu’ils ont cerné le mécanisme responsable de ce trouble neurologique et qu’ils sont parvenus à en restaurer le fonctionnement par l’administration d’une molécule conçue à cette fin.
En conditions normales, les signaux perçus par notre corps génèrent un influx nerveux transporté par les cellules nerveuses jusqu’à la moelle épinière. De là, il est transmis au cerveau où il est décodé. «Lorsqu’on a mal à un pied ou à une main, c’est dans la tête que la douleur est ressentie», rappelle Yves De Koninck. Dans le cas de la transmission du signal douloureux, il existe dans la moelle épinière un système qui détermine si le signal doit être relayé ou non au cerveau. L’hypersensibilité des personnes souffrant de douleurs chroniques serait due à une défectuosité du mécanisme de répression de la transmission du signal douloureux au niveau de la moelle. Pour cette raison, des stimulations sensorielles normales peuvent se traduire par une perception de douleur intense.
Le chercheur attribue ce dérèglement à la perte d’une protéine (KCC2) de la membrane de certaines cellules nerveuses de la moelle épinière. Cette protéine est responsable du pompage des ions chlorures vers l’extérieur des cellules nerveuses. «En maintenant une faible concentration de chlorure, elle permet l’inhibition du signal nerveux, précise-t-il. Chez les personnes souffrant de douleurs chroniques, cette pompe inverse le flux normal des ions ce qui rend les neurones de la moelle plus excitables.»
Selon ce modèle, des drogues qui restaureraient des niveaux normaux de KCC2 devraient rétablir le mécanisme d’inhibition du signal nerveux. Les chercheurs se sont donc mis sur la piste de molécules qui favorisent la sortie des ions chlorures des cellules nerveuses et qui sont de plus peu toxiques, stables et capables de se rendre à la moelle épinière. Ils en ont trouvé une qui se démarque du lot: la CL-058. Les chimistes associés à l’équipe ont fabriqué 300 variantes de cette molécule. Elles ont ensuite été testées en laboratoire afin de découvrir la plus efficace.
Résultat? L’un de ces analogues a entraîné une réduction de 40% des ions chlorures et il a permis de rétablir une réponse fonctionnelle normale dans des cellules hyperexcitables. Seule ombre au tableau, cette molécule est rapidement dégradée par l’organisme, ce qui en réduit l’intérêt pour un usage thérapeutique chez l’humain. «Nous avons prouvé que notre cible était la bonne, mais la pharmacocinétique de cette molécule laissait à désirer, résume le professeur De Koninck. Depuis, nous avons trouvé quatre ou cinq nouvelles molécules prometteuses et des discussions sont en cours avec une entreprise pour amener les travaux à l’étape suivante.»
Les problèmes générés par la perte de KCC2 débordent largement la question des douleurs chroniques. Le même dérèglement serait en cause dans le stress chronique, l’anxiété, l’autisme, l’épilepsie, voire même la schizophrénie, souligne le chercheur. «Cette protéine joue un rôle central dans l’homéostasie des ions chlorures et dans la stabilité des réseaux nerveux.
Source du texte:
Jean HamannUniversité Laval
Article de recherche original:
Gagnon M, Bergeron MJ, Lavertu G, Castonguay A, Tripathy S, Bonin RP, Perez-Sanchez J, Boudreau D, Wang B, Dumas L, Valade I, Bachand K, Jacob-Wagner M, Tardif C, Kianicka I, Isenring P, Attardo G, Coull JA, De Koninck Y. Chloride extrusion enhancers as novel therapeutics for neurological diseases. Nat Med. 2013 Oct 6. doi: 10.1038/nm.3356. [Epub ahead of print] PubMed PMID: 24097188.
Yves De Koninck reçoit le prix Jacques-Rousseau de l’ACFAS
Yves De Koninck a remporté le prix Jacques-Rousseau, décerné pour la multidisciplinarité. Ce prix a été créé en 1980 en l’honneur de Jacques Rousseau, botaniste et ethnologue, pour souligner le travail d’une personne dont les réalisations ont dépassé son domaine de spécialisation et ont érigé de nouveaux ponts entre les disciplines. Cette distinction couronne les efforts déployés depuis dix ans par le professeur De Koninck pour marier les neurosciences et l’optique-photonique. Depuis 2002, il a piloté de nombreux projets, dont la création du Centre de neurophotonique, qui ont permis un rapprochement entre les chercheurs de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec et ceux du Centre d’optique, photonique et laser. Ses efforts ont permis de mettre la puissance de l’optique-photonique au service de l’étude du système nerveux.
Source du texte: Université Laval (http://www.lefil.ulaval.ca/articles/trois-chercheurs-honores-par-acfas-35202.html)
Apprenez-en plus sur ce prix sur le site de l’ACFAS:
http://www.acfas.ca/prix-concours/prix-acfas/2013/prix-jacques-rousseau/yves-koninck