Si vous observez une télé-réalité de survie, comme «Survivorman» au Canada, vous réaliserez que la famine a un effet désastreux sur le corps. La personne devient faible, désorientée et commence à avoir envie de protéines. Chez les humains, cela est considéré comme normal, car nous sommes des omnivores. Pourtant, cet effet peut également être observé chez d’autres espèces, même si elles sont habituellement herbivores.
La mouche à fruits, Drosophila melanogaster, se nourrit principalement, comme son nom l’indique, de fruits en décomposition et des micro-organismes qui les habitent. Pourtant, quand cet insecte subit la famine, ses goûts changent. Après plusieurs jours sans nourriture, ces mouches deviennent carnivores et même cannibales. Ce changement dramatique dans le choix des aliments, bien qu’observé, n’est pas encore être entièrement compris.
Une théorie suggère que les mécanismes neurologiques du goût de la mouche changeraient pendant la famine. Bien qu’il existe plusieurs types de goût différents, pour la mouche à fruits, le facteur décisif est l’amertume. Si un aliment est amer, il est normalement évité. Cependant, en période de famine, la perception de cette amertume pourrait être diminuée.
Une équipe de chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique, dirigée par le Dr Michael Gordon, a publié dans la revue Current Biology une étude portant sur les récepteurs de goût amer pendant la famine. Leurs résultats confirment la théorie, mais le mécanisme sous-tendant la modification du goût est beaucoup plus complexe que l’on ne le croyait.
L’équipe s’est concentrée sur un groupe de neurones connus sous le nom de neurones récepteurs gustatifs, ou NRGs. Ceux-ci sont impliqués dans le goût et peuvent différencier entre un goût sucré et amer. Ces neurones se connectent à une zone du cerveau appelée zone sous-oesophagienne, ou SEZ. Quand une mouche détecte une saveur, les GRNs envoient un signal à la SEZ qui permet à la mouche de déterminer si le nutriment vaut la peine d’être mangé.
En période de famine, un changement se produit dans la transmission du goût. Les NRGs qui détectent le sucre sont plus actifs tandis que les NRGs qui détectent l’amertume le sont moins. La mouche est moins sensible à l’amertume en période de famine, ce qui peut permettre aux mouches de consommer des aliments non conventionnels.
L’équipe a d’abord voulu trouver les neurones responsables de ce changement. En utilisant des marqueurs fluorescents, ils ont pu identifier un groupe de neurones candidats se trouvant près des NRGs amers. Ce groupe, nommé OA-VLs (neurones octopaminergiques ventro-latéraux), produit deux neurotransmetteurs appelés octopamine et tyramine. Les deux produits chimiques avaient été impliqués dans la réponse à la famine des mouches à fruits et ce groupe de neurones semblait donc être un excellent point de départ.
Tout d’abord, les chercheurs devaient déterminer si les OA-VLs pouvaient détecter le goût amer. Pour ce faire, l’équipe a modifié la capacité de ces neurones à envoyer des signaux aux NRGs. Lorsque les signaux ont été inhibés, les mouches ont perdu leur aversion pour les produits amers, tout comme les mouches qui avaient été affamés. Cela suggère qu’il y avait effectivement un lien entre le l’OA-VL et les NRGs.
L’équipe voulut ensuite déterminer s’il s’agissait d’un effet indirect ou direct. Ils voulaient savoir si les clés de cette modification de goût étaient l’octopamine et la tyramine. Ils ont testé ceci en administrant ces produits chimiques directement dans le cerveau de la mouche. Comme prévu, l’addition de ces composés a rétabli la sensibilité amère, même pendant la famine. Cependant, les composés n’ont pas rendu les mouches bien nourries plus sensibles à l’amertume. Ces résultats suggèrent que l’effet de ces neurotransmetteurs reflètent l’état de famine.
Les résultats de cette étude révèlent un processus remarquable de désensibilisation au goût amer. Au lieu d’être contrôlé par les NRG eux-mêmes, l’effet est régi par les OA-VLs par la sécrétion d’octopamine et de tyramine. Pendant la famine, l’effet des neurotransmetteurs, et la sensibilité à l’amertume, est diminué. Cela permet à la mouche de se nourrir à plus de sources, peu importe son goût, afin de puiser des quantités suffisantes de nutriments pour survivre. Une fois la mouche correctement alimentée, la sensibilité amère revient à la normale.
Les effets de la famine sont intenses et cette étude montre que le cerveau peut mener une mouche à fruits à manger des aliments non conventionnels. Mais cela ne devrait pas être une surprise. Que vous soyez un humain ou une mouche, quand la situation est grave, on a de bonnes raisons de croire qu’individu pourrait manger n’importe quoi pour survivre.
Article de recherche original:
LeDue EE, Mann K, Koch E, Chu B, Dakin R, Gordon MD. Starvation-Induced Depotentiation of Bitter Taste in Drosophila. Curr Biol. 2016 Nov 7;26(21):2854-2861. doi: 10.1016/j.cub.2016.08.028.