Les humains et les autres primates ont une extraordinaire capacité à concentrer leur attention volontairement et efficacement sur des informations importantes tout en ignorant les distractions. Depuis des décennies, on a pensé que cette capacité s’appuyait sur l’expansion, durant l’évolution, du cortex préfrontal latéral, une partie du cerveau qui atteint son plus haut niveau de complexité chez les primates. Plusieurs études ont démontré que l’activité des neurones du cortex préfrontal latéral chez des primates en action était fortement modulée par le fait de porter attention à des objets ou des lieux différents. Cependant, une question fondamentale dans ce domaine de la recherche est de savoir si les neurones activés simultanément (assemblée neuronale) peuvent générer suffisamment d’information pour provoquer l’opération cognitive qu’est l’attention. Cette question n’est pas triviale, puisque la quantité d’information générée par un groupe de neurones activés simultanément dépend d’éléments comme le bruit de fonds et la variabilité de réponse d’un essai à l’autre, ce qui peuvent altérer sensiblement l’information transmise par une population neuronale.
Afin d’étudier ce problème, Martinez-Trujillo et son équipe ont enregistré l’activité de centaines de neurones préfrontaux latéraux chez des primates non humains en utilisant une microélectrode carrée de 4×4 millimètre implantée à la surface du cerveau, et ce, pendant qu’ils concentraient leur attention sur un objet parmi plusieurs présents dans leur champ visuel. Ils ont entré les signaux enregistrés dans un algorithme d’apprentissage machine, exécuté sur un ordinateur personnel, qui imitait les calculs effectués par un réseau de neurones interconnectés du cerveau. Ils ont testé l’hypothèse que l’ordinateur pourrait signaler de façon fiable l’endroit où les sujets portaient leur attention sur un écran d’ordinateur.
En effet, la machine a réussi à prédire en moins d’une demi-seconde l’endroit où les sujets dirigeaient leur attention sur l’écran. Cette prédiction a été faite avant même que les sujets n’aient exécuté le moindre mouvement vers l’objet ciblé. Ainsi, les assemblages de neurones préfrontaux peuvent signaler de manière fiable l’allocation de l’attention.
Fait important, une manipulation subtile de l’activité corrélée et donc des interactions fonctionnelles entre les neurones enregistrés a modifié de façon significative la performance de la machine à prédire l’attention. Ceci démontre que les interactions entre les neurones dans le cortex préfrontal latéral jouent un rôle fondamental dans la quantité d’informations que cet assemblage de neurones peut encoder.
Ces résultats sont très pertinents pour plusieurs disciplines, y compris les neurosciences, la psychiatrie et la neurologie. Ils démontrent que le cortex latéral préfrontal des primates joue un rôle fondamental dans la mise en œuvre de la fonction cognitive de l’attention. Ils indiquent en outre que l’incapacité de se concentrer, comme on le voit chez les patients atteints de TDAH, d’autisme et de schizophrénie, peut provenir de changements subtils dans la microstructure du réseau préfrontal latéral qui modifie commes les neurones individuels interagissent entre eux. De surcroit, puisque la machine a réussi à prédire l’allocation de l’attention de façon robuste sur plusieurs semaines, ces résultats ouvrent de nouvelles avenues dans le domaine de recherche émergent des neuro-prothèses cognitives. Cette étude montre que les signaux du cerveau peuvent être extraits du cortex préfrontal latéral en utilisant un réseau de microélectrodes implantés sur le cerveau, générant ainsi une interface cerveau-machine capable de «lire» les intentions d’un sujet avant même qu’il ne fasse de mouvement vers un but désiré, par exemple, la saisie ou le mouvement vers un objet. Ceci pourrait potentiellement améliorer la performance de neuro-prothèses existantes qui utilisent les signaux du cerveau pour diriger des dispositifs mécaniques pour aider des patients atteints de paralysie.
Ce travail a été mené par Sébastien Tremblay, un étudiant diplômé de l’Université McGill dans le laboratoire du Dr Julio Martinez Trujillo. Les Drs Florian Pieper de l’Université de Hambourg, et Adam Sachs, un neurochirurgien de l’Hôpital d’Ottawa ont joué des rôles fondamentaux dans le projet. Le Dr Martinez-Trujillo est actuellement professeur au Département de physiologie de l’Université McGill (Québec) et Professeur associé et chercheur à l’Institut de recherche Robarts à l’Université Western (Ontario).
Source du texte: Julio Martinez-Trujillo
Traduction: CAN-ACN
Article de recherche original:
Attentional Filtering of Visual Information by Neuronal Ensembles in the Primate Lateral Prefrontal Cortex
Sébastien Tremblay, Florian Pieper, Adam Sachs, Julio Martinez-Trujillo
DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.neuron.2014.11.021
Un résumé vidéo de l’article est disponible sur le site du journal Neuron:
http://www.cell.com/neuron/abstract/S0896-6273%2814%2901073-3